La stratégie est l’affaire des actionnaires familiaux

Lorsqu’elles pensent transmission, de nombreuses familles actionnaires de PME ou d’ETI raisonnent « capital », « fiscalité », « valeurs » et/ou « gouvernance »… Elles mettent ainsi en place un dispositif Dutreil, un pacte d’actionnaires, une charte des valeurs, un conseil de famille, etc.

Beaucoup moins nombreuses sont celles qui, dans ces moments, pensent à la stratégie. Parfois, d’ailleurs, certains actionnaires familiaux sont tentés d’en déléguer l’élaboration à un Directeur Général salarié.

Pourtant, lors d’une transmission, la stratégie s’avère aussi clé, voire davantage, que les autres dimensions.

Rappelons tout d’abord une évidence : c’est l’argent des actionnaires qui est investi dans l’entreprise. À ce titre, ce sont bien eux qui prennent les risques. Dès lors, quoi de plus légitime de décider par eux-mêmes où il doit être investi et le niveau de risque à prendre. Dit autrement, la stratégie fait bien partie de leurs prérogatives.

La soi-disant moindre connaissance de l’entreprise que pourraient avoir des actionnaires non opérationnels ne saurait être un obstacle. Celle-ci s’acquiert d’ailleurs en partie au cours d’une démarche stratégique. Elle peut également être compensée par une capacité à prendre du recul et à poser les bonnes questions.

C’est l’argent des actionnaires qui est investi dans l’entreprise. A ce titre ce sont eux qui prennent les risques. Dès lors, quoi de plus légitime pour eux que d’élaborer la stratégie ?

A plusieurs reprises nous avons ainsi vu de jeunes actionnaires, non opérationnels, connaissant peu l’entreprise, avoir une contribution décisive à la réflexion stratégique, grâce à la pertinence de leur questionnement et à leur regard neuf.

Par ailleurs, créer des instances de gouvernance efficaces et robustes constitue très souvent une préoccupation majeur au moment de passer le témoin à la génération d’après. Cependant, il n’y a pas de bonnes instances de gouvernance dans l’absolu ! Tout dépend de la stratégie suivie. Ainsi, la pertinence des mécanismes de gouvernance doit être en grande partie évaluée à l’aune des objectifs stratégiques poursuivis. La définition de la stratégie doit donc absolument précéder celle de la gouvernance.

Il n’y a pas de bonnes instances de gouvernances dans l’absolu. […Leur] pertinence doit être […] évaluée à l’aune des objectifs stratégiques poursuivis. La définition de la stratégie doit donc précéder celle de la gouvernance.

Enfin, la stratégie d’une PME ou d’une ETI familiale, ne peut pas se faire en y plaquant les outils classiques de la stratégie (analyses de marché, SWOT, Porter, etc.) conçus, rappelons-le, pour appréhender le développement des grandes entreprises américaines à l’époque des 30 glorieuses, c’est-à-dire dans un contexte dans lequel la demande était supérieure à l’offre. Notre expérience montre qu’au sein d’une entreprise familiale, deux éléments sont particulièrement structurants  :
  • Son offre (sa proposition de valeur unique dont le produit ou le service n’est que la matérialisation), issue de son ADN et pierre angulaire de sa différenciation. Sa fonction stratégique dominante (i.e. la fonction-clé de l’entreprise, souvent reliée au métier du fondateur) qui conditionne en partie ce que l’entreprise sait (ou ne sait pas) faire ainsi que sa vision du monde.
  • Or, comprendre ces éléments est fondamental pour les nouvelles générations.
Une réflexion stratégique approfondie – qui va bien au delà de l’expression d’une vision et de valeurs – permet d’appréhender ces composantes-clés. Elle aide à déterminer l’espace de liberté dont dispose la nouvelle génération (« qu’est-ce que je peux modifier ? ») et à comprendre ce qu’il ne faut surtout pas changer sous peine de mettre l’entreprise en porte à faux avec sa colonne vertébrale. On évite ainsi le syndrome de l’héritier qui, convaincu qu’il doit imprimer sa marque, balaie le passé et, ce faisant, fragilise l’entreprise.

Une réflexion stratégique approfondie […] aide à déterminer l’espace de liberté dont dispose la nouvelle génération et à comprendre ce qu’il ne faut surtout pas changer. […] On évite ainsi le syndrome de l’héritier qui, convaincu qu’il doit imprimer sa marque, balaie le passé et, ce faisant, fragilise l’entreprise.

Une telle démarche permet également, à l’inverse, de prendre du recul par rapport au passé pour ne pas mettre l’entreprise totalement « sous cloche » en l’empêchant de s’adapter à son environnement actuel ou à venir.

Par ailleurs, elle amène l’ensemble des générations à s’aligner autour d’une même représentation et une même compréhension de l’entreprise. Cet alignement possède au moins deux vertus :

  • D’une part, cela rassure la génération qui s’apprête à passer la main (« mon œuvre sera prise en compte et non pas balayée d’un revers de main ») et rend le processus de transmission plus fluide : l’ancienne génération aura plus de facilité pour passer le témoin. La probabilité que le « patriarche » s’accroche à son siège, empêchant toute affirmation de la nouvelle génération, s’en trouve dès lors réduite.

Elle amène l’ensemble des génération à s’aligner. La probabilité que le »patriarche » s’accroche à son […] siège s’en trouve dès lors réduite.

  • D’autre part, cela permet à la génération qui arrive d’asseoir sa légitimité de patron. Non seulement, elle s’inscrit dans une certaine continuité rassurante avec le passé, mais la participation à l’élaboration de la stratégie puis, surtout le pilotage de sa mise en œuvre, lui offre l’opportunité de démontrer ses capacités et de gagner ainsi son bâton de maréchal .A une époque où porter le même nom et être actionnaire ne suffit plus à assurer sa légitimité, piloter un tel process est clé pour bâtir la confiance entre la nouvelle génération d’actionnaires et les collaborateurs, elle-même socle de la pérennité de l’entreprise.
A une époque ou porter le même nom et être actionnaire ne suffit plus à assurer sa légitimité de patron, piloter un tel process est clé pour bâtir la confiance entre la nouvelle génération d’actionnaires et les collaborateurs, elle-même socle de la pérennité de l’entreprise.
Autant de bonnes raisons pour que « transmission » rime avec « réflexion stratégique » !
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