La genèse d’une entreprise s’apparente à tout acte créatif : le créateur y exprime ce qu’il a en soi. Il répond à un besoin propre ou à un manque ressenti par lui et supposé du coup, exister chez d’autres. Rares sont les entreprises créées à partir d’une analyse approfondie du marché !
Ce faisant, l’entrepreneur extériorise dans sa société sa personnalité, sa propre vision du monde…
Là aussi, le Créateur la crée « à son image » ! L’entreprise est en quelque sorte une partie de lui-même.
Créature-créateur sont indissociables. Ceci est d’autant plus vrai en PME. Du fait de leur âge, d’abord, l’influence du fondateur est souvent encore très prégnante. Du fait de leur taille ensuite, l’impact du patron y est toujours important.
Pourtant, il en est de l’entreprise comme de l’enfant : en grandissant – et pour survivre –, l’une comme l’autre sont condamnés à s’autonomiser. Il en va de la pérennité de la créature ! Le fondateur est certes à l’origine de l’entreprise, il n’est pas pour autant l’entreprise. Celle-ci doit pouvoir exister sans lui, son offre (au sens de la promesse – souvent implicite que l’entreprise fait à son marché) doit pouvoir être portée par d’autres voire être influencée par d’autres pour s’adapter aux évolutions du monde.
Le fondateur – tout comme l’entreprise – doit l’accepter. Le cap est parfois franchi difficilement, de la part d’une entreprise qui se sent orpheline de sa figure tutélaire ou par le créateur qui perd son statut central alors qu’il a souvent fait beaucoup de sacrifices pour son entreprise : vie de famille, loisirs, et parfois patrimoine privé.
Prégnante dans les premières années de développement, cette problématique l’est également en cas de rachat. La tentation existe pour le repreneur de vouloir modeler l’entreprise « à son image ».
Nous revient en mémoire le cas de cet entrepreneur qui, sensible à l’art et au luxe, impulsa des changements culturels, en partie pour faire coïncider la culture de l’entreprise à ses goûts. Il en résulta un « dépositionnement » identitaire important dans une entreprise enracinée dans la technique, et une fragilisation du lien entre ce fabricant et ses distributeurs.
Plus spectaculaire encore, cette autre PME de la salaisonnerie, serviteur dévoué et efficace des bouchers indépendants, que son repreneur, passionné d’aviation, lança à l’assaut de la GMS, uniquement pour pouvoir générer un chiffre d’affaire et une rentabilité plus importante…
La croissance du chiffre fut certes au rendez-vous – et donc l’avion privé pour le patron –, mais la dépendance aux « diktats » des grandes enseignes aussi… Elle ne tarda pas à condamner l’entreprise.
Finalement, ne faudrait-il pas s’inspirer de cet autre patron, restaurateur quasi autodidacte dans ce domaine, qui reprenant une pizzeria, déclara :
« l’entreprise marchait avant moi, pourquoi tout changer ? À moi de faire qu’elle marche avec moi de la même façon, demain » ?
Qu’a-t-il fait ? Trois fois rien, dira-t-on. Et pourtant c’est fondamental !
Il s’est d’abord assuré de comprendre l’offre : un moment de convivialité, autour de bons plats italiens avec un patron et des serveurs affables. Ensuite il a recruté du personnel partageant ces valeurs et les a formé à l’offre. Pari gagné ! Que le patron soit là ou non, les clients eux, répondent présents et le restaurant est connu dans son quartier et au-delà ! Du Figaro au Boston Globe, les critiques soulignent son caractère unique, ses plats de qualité et son ambiance conviviale.
Prendre conscience que ce n’est pas l’entreprise qui est au service de son dirigeant mais que c’est ce dernier qui est au service de l’offre de l’entreprise, n’est-ce pas finalement, là aussi, l’un des secrets de la pérennité ?