Qui a gagné, qui a perdu ?
Depuis le débat de l’entre-deux tours, beaucoup, commentateurs, journalistes, ou simples citoyens, s’interrogent.
La presse, les experts, et même un sondage semblent converger pour accorder la victoire au Président sortant : celui-ci aurait « gagné » le duel, grâce à sa compétence, son intelligence et sa connaissance approfondie des sujets.
Tandis qu’Emmanuel Macron s’employait surtout à démonter le programme de son adversaire, la candidate de l’extrême droite paraissait en retrait, argumentant finalement assez peu.
Cette posture a été interprétée par beaucoup, uniquement comme une faiblesse. La domination du Président sortant serait ainsi claire. Moins nette qu’il y a 5 ans, mais néanmoins réelle.
Mais jusqu’où l’attitude de Marine Le Pen était-elle induite par un manque de maîtrise des sujets ou un défaut de présidentialité ? Dans quelle mesure n’était-ce pas, aussi, une posture assumée ? Prudence !
Les observateurs et autres sondeurs l’on suffisamment souligné. Dans cette France divisée, fragmentée, « archipelisée » comme dirait Jérôme Fourquet, Macron serait avant tout, et en caricaturant à grands traits, le candidat des classes privilégiées, éduquées et urbaines qui savent tirer parti des évolutions sociétales, technologiques et de l’économie mondialisée.
À l’inverse, l’électorat Le Pen serait majoritairement composé de couches populaires, rurales, fragilisées par ces mutations et par une économie de plus en plus globale.
Dans qui, cette France « périphérique » se reconnaîtra-t-elle le plus ? Dans un candidat – Macron – qu’ils perçoivent comme l’incarnation même de ce qui les menace, ou dans quelqu’un qui leur ressemble (ou prétend leur ressembler) – Marine Le Pen – ?
En adoptant une attitude en apparence modeste, en étant sur la défensive face à un adversaire incarnation de la France qui va bien, la candidate d’extrême droite apparaissait en phase avec son électorat : victime, comme lui, d’une élite arrogante, hautaine et condescendante.
D’ailleurs, les soutiens et relais de Marine Le Pen ne se privent pas, depuis, de fustiger l’attitude supposée d’Emmanuel Macron durant le débat.
Le message véhiculé est Macron se comporte avec notre candidate, comme les élites se comportent avec vous, le peuple », avec en filigrane une interpellation : « Est-ce pour ce candidat / ces élites que vous voulez voter, ou pour quelqu’un qui vous ressemble ? ».
En communication interpersonnelle cela s’appelle « jouer de l’effet miroir » et vise à influencer son interlocuteur en adoptant des comportements et attitudes similaires pour provoquer identification et perception favorable.
Pour les deux camps, les réserves de voix se situent soit du côté d’abstentionnistes qui pour beaucoup ne se reconnaissent pas dans notre fonctionnement démocratique actuel, soit dans l’électorat Mélenchon aux caractéristiques sociologiques proches, à plusieurs égards, de celui de Marine Le Pen (un quart d’entre eux déclarent d’ailleurs déjà vouloir voter pour elle au second tour).
Dans ce contexte, à quoi ces électeurs potentiels seront-ils le plus sensibles : l’effet miroir ou l’argumentaire ? L’inconscient ou la rationalité ?
Dans une élection présidentielle où l’on sait, en plus, que les Français votent davantage pour une personne que pour un programme, il n’est pas certain du tout que le second soit plus efficace que le premier.
Dans ce cas, le débat de l’entre-deux tour pourrait se révéler avoir été, malheureusement, un vrai jeu de « qui perd gagne » !